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Hors piste, PQDS...des portraits !

Vincent Hulin, Coureur de l’Extrême (n°2/2) : « Le trail, un rendez-vous avec soi-même. »


crédits vincent hulin - utmb aout 2013 2

 

Il nous ressemble, parle comme nous, vit normalement, entre famille et travail. Et pourtant, Vincent Hulin est hors-norme, un « Coureur de l’Extrême » comme le conte son premier livre. Capable d’enchaîner quatre Trails mythiques, l’ancien judoka de haut niveau sait aussi parler simplement de ses exploits, de lui, de ce sport et de ses rêves. Ultra passionnant. Second et Dernier volets de ses confidences recueillies par Plus Que Du Sport.  

 

 

 

 

Tes premiers pas dans le sport, tu t’en souviens ?
C’était le judo. J’avais six ans. Le foot ne commençait qu’à sept ans et comme j’étais super turbulent, mes parents m’ont inscrit dans le seul club à proximité. Et ça a été une révélation. J’en ai fait toute ma vie. J’ai intégré le sport-étude à Tours. Puis, j’ai suivi la fac de droit et suis monté à Paris où j’ai pu m’entrainer à l’INSEP pendant trois ans. Mais je galérais vraiment en droit, je ne devais pas être fait pour cette spécialité, et j’ai appris qu’une formation réservée aux sportifs de haut niveau,- SportCom-, était dispensée à l’INSEP. Cela m’a amené à goûter au journalisme au CFPJ. Et à partir du moment où j’ai fait de la radio, je me suis dit que j’avais trouvé ma voie, que c’était ce que je voulais poursuivre.

 

Ce passage à l’INSEP, c’est un bon souvenir ?
Oui, c’était le top du top ! Je vivais judo, je respirais judo… je n’étais que partenaire d’entrainement. Pas le numéro 1, 2 ou 3 de l’équipe de France. Mais j’ai côtoyé David Douillet, Marie-Claire Restoux. Et pour moi, c’était le début du dépassement de soi. Quand tu fréquentes les meilleurs judokas français qui font partie des meilleurs athlètes mondiaux, tu prends cher ! Et si tu n’as pas le mental, tu bâches ! Mais ça m’a aidé à me construire et à me renforcer.

 

Qu’est-ce que tu exprimes dans le Trail et qui te vient du Judo ?

en plein effort dans le désert !

en plein effort dans le désert !

 
Certainement le mental ! Quand à seize ans, il faut que tu perdes 7-8 kilos avant une compétition… tu as intérêt à avoir du mental ! Les autres mangent et toi tu dois t’entrainer comme un fou…et mon rapport à la course à pied était terrible parce que pour perdre du poids, il fallait mettre un jogging et courir une heure pour se délester de quelques grammes…alors courir n’était pas synonyme de bonheur pour moi à l’époque.
En quoi ces deux sports différent ?
L’effort n’est pas du tout le même. Au judo, c’est super intense et condensé sur des plages relativement courtes, des combats de 3 à 4 minutes. Aujourd’hui, je pars courir sur des journées et des journées. Au niveau cardio, cela n’a rien à voir, et, mes copains du judo m’ont chambré en me faisant remarquer que j’avais fondu du haut du corps et tout mis dans les jambes. Ce sont deux sports individuels mais, en revanche, j’aimais les compétitions par équipe au judo et, aujourd’hui sur les Trails, la présence de mes partenaires sur la course ou de mes connaissances au niveau des ravitaillements est très importante pour moi. Il y a une notion de partage que je retrouve.

 

Comment s’entraîne-t-on pour le genre de performances que demandent les 330km et 24000m de dénivelé parcourus sur le Tor des Géants ?
Une semaine normale, sans objectif le mois suivant, je sors 3 à 4 fois. On peut aussi s’adapter comme je l’ai fait : pour lutter contre la lassitude, en ce moment, j’ai remplacé les séances de fractionné par du futsal. Je fais du cardio pendant une heure et demi, je ne marque pas beaucoup de buts mais je suis avec les copains et à la fin on peut boire une mousse ensemble alors c’est sympa. En général, je recherche la qualité dans mes sorties : j’utilise un terrain de moto-cross pas loin de chez moi que je parcours pendant des heures et des heures, d’autres fois je vais sur Poitiers, monter des escaliers et des escaliers. Cela permet de travailler à la fois le renforcement musculaire mais aussi les montées et les descentes. Et le dimanche, je fais des sorties longues en pleine nature et en groupe. J’ai aussi pris l’habitude lorsque j’ai un moment entre midi et deux de prendre mes baskets et de faire une sortie cool. Lorsqu’un gros objectif se profile, je passe à 6 ou 7 séances par semaine. Et là, je fais parfois du bi-quotidien avec une sortie le matin à jeun et, à la pause déjeuner ou le soir, une autre séance. J’ai appris à augmenter mon volume d’entrainement et je pense que si c’était mon métier, je m’infligerais des charges de travail encore supérieures.

 

Tout le monde peut s’adapter et se préparer n’importe où selon toi ?
Oui complètement. Par exemple, il y a un rendez-vous important que l’on a mis en place avec les copains. Trois, quatre fois dans l’année, on fait des « week-ends chocs » : comme les montagnes les plus proches sont à trois heures de route dans le Cantal, on part le vendredi après le boulot. On arrive sur les coups de 22 heures et on va courir de nuit à la frontale. Et pendant deux jours, on « casse de la fibre » comme on dit : on fait plusieurs parcours, de temps en temps on se repose, mais le but est d’avaler du dénivelé pendant 24 à 48 heures. Ce sont des week-ends importants à placer judicieusement dans la préparation, ni trop près, ni trop loin de la compétition.

 

Tu parles beaucoup de tes copains, de tes partenaires de course. Tu es plus discret concernant tes proches… Pourtant la préparation est chronophage et, au quotidien c’est aussi la famille qui assume la charge de travail de l’ultra-traileur. Comment gères-tu ça ? Tu as des conseils d’organisation à donner à ceux qui vont saliver à la lecture de ton livre ?
J’entends souvent les gens dire : « ah je n’ai pas eu le temps d’aller courir ! » et je trouve que c’est une fausse excuse. Le temps, il suffit de se le donner. C’est vrai qu’il faut être prêt à faire des sacrifices. Moi, j’ai la chance d’avoir une femme qui m’aide beaucoup et qui accepte ce que je fais. Mais c’est donnant-donnant et elle sait me faire les rappels nécessaires lorsque je prends moins de temps pour la vie de famille et les enfants. C’est une ancienne sprinteuse donc le sport elle connait et elle respecte ma passion. Alors, je n’hésite pas à mettre le réveil plus tôt, à 4h30, et je pars faire deux heures. Je croise parfois le vendeur de journaux qui ouvre des yeux immenses en me voyant avec le sac et la frontale. D’autres fois, quand les enfants sont couchés, au lieu de rester dans le canapé à regarder la télé, il m’arrive de prendre mes affaires et de partir courir.
Sinon, c’est vrai que, dans le livre, je fais souvent référence à mon copain Gilles avec lequel je suis parti une semaine faire « le Tor » et une autre pour le Marathon des Sables. Il y a peu, ma femme m’a gentiment fait remarquer que j’avais passé presque autant de temps avec lui qu’avec elle …alors je l’ai emmené en week-end prolongé à Prague… Ma femme ! Pas Gilles ! (rires)

 

sur les sentiers autour du Mont-Blanc

sur les sentiers autour du Mont-Blanc

Ton récit nous entraîne d’un exploit à l’autre : tu es blessé sur le Grand Raid et fini avec une douleur intense à la jambe. Puis, on se retrouve tout de suite plongé dans l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. Tu ne nous parles jamais de tes phases de récupération… Pourquoi ?
Cela s’est fait naturellement lors de l’écriture et c’est vrai que cela m’est reproché : les lecteurs ont envie de savoir. En général, je prends un jour de récupération par tranche de 10 kilomètres parcourus. Et quand je dis récupération cela signifie que pendant une semaine au moins, je ne fais rien du tout. Ensuite, petit à petit, je réintroduis des activités : une heure de vélo elliptique par-ci, une heure de natation par-là, mais vraiment à dose homéopathique. Après le Tor des Géants, pendant 33 jours, je n’ai pas couru et je n’étais pas en manque. J’avais peur de cette addiction que j’ai pu observer chez certains coureurs qui quinze jours après le Marathon des Sables vont faire un marathon sur route. Moi, je me dis qu’ils sont barrés ! Ce n’est pas parce que la tête va bien que le corps va bien : le squelette, les fibres musculaires, les articulations ont soufferts ! Ce n’est quand même pas anodin de faire 160 ou 330 bornes ! Moi, je fais très attention à ça et ma femme me pousse aussi à observer ces périodes de récupération. Aujourd’hui, cette phase de régénération fait partie de mon entraînement et je pense que c’est aussi pour cela que je ne contracte pas de fracture de fatigue ou d’autres blessures. Je pense que je passe entre les gouttes car le repos paye.

Aujourd’hui le trail évolue : il se popularise énormément et dans le même temps se professionnalise aussi. Des primes de course se développent, notamment depuis quelques années. Et, le début de l’année 2015 a donné lieu à deux grosses polémiques : l’une avec la volonté de la Fédération Française d’Athlétisme de taxer toutes les courses hors-stade, l’autre avec ce départ séparé sur les championnats du monde à Annecy alors que jusqu’ici l’élite partait en même temps que le reste du peloton amateur sur toutes les courses. Quel est ton sentiment en tant que Traileur et Journaliste par ailleurs ?
Le départ séparé, je trouve cela nul. On est en train de perdre notre âme. On était l’un des seuls sports à pouvoir se targuer d’avoir côte à côte, sur la même ligne, un amateur de niveau régional et un champion du monde. On avait cette chance là jusqu’ici ! L’année où je participe au Grand Raid de la Réunion, je croise Kilian Jornet à cinq minutes du départ : on ne se connait pas mais je lui serre la main : c’est du bonheur ! Après, il reste devant et moi, je me place derrière mais c’est normal et c’est ça l’esprit Trail ! En ce qui concerne la polémique sur la taxe, la Fédération est en train d’observer un phénomène qui lui échappe. Comme la fédération de judo qui voit que le Mixed Martial Art (MMA) et d’autres sports de contacts attirent les jeunes. Ces instances essaient de récupérer ces compétitions de façon incroyable et sans légitimité. On dirait un impôt, le retour de la gabelle… c’est assez révoltant.

run vincent run !

Run Vincent, Run !

 

Qu’est-ce qui te fais rêver ou envie aujourd’hui ?
Dans le trail, il y a tellement de belles courses à faire. Je me suis instauré une jurisprudence : ne pas faire deux fois la même épreuve ! Sur le Tor des Géants, j’ai couru aux côtés d’un sénateur, ces coureurs ayant terminé toutes les éditions précédentes. Je trouve que ces gars sont allumés de refaire toujours le même parcours, surtout sur des tracés aussi durs. Si je suis encore en forme dans quinze ans et que mon fils me dit : « papa, on va faire le Tor des géants ensemble », peut-être qu’à ce moment-là je réviserai mon jugement. Mais il y a tellement de parcours que je n’ai pas faits. Aujourd’hui, lorsque l’on regarde le calendrier des courses à pied, sur dix nouvelles, huit sont des Trails ! A mon avis, on n’a pas fini de découvrir nos paysages et nos contrées.
En 2016, j’ai programmé la Transpyrenea : 900 bornes au menu, à mon avis ça va être un truc de barjots ! Il y a aussi une course qui se déroule dans le Grand Canyon aux Etats-Unis qui me fait envie et le Tarawera UltraMarathon en Nouvelle-Zélande. J’ai plein de projets, plein de courses qui me font rêver !

 

Concernant les très longues distances, quand tu vois Patrick Malandain qui s’est lancé pour défi en 2016 d’ être le premier homme à parcourir 10 000 km en 100 jours, qu’en penses-tu ? N’est-ce pas aller un peu trop loin ?
Je suis partagé et assez mal placé parce que je suis le premier à vouloir pousser « la machine » un peu plus loin, à vouloir me tester. C’est un peu le cas avec la Transpyrenea où l’on est limité à 16 jours et 16 heures. J’ai conscience que l’on tutoie la limite de ce qui est compréhensible. C’est vrai qu’il y a des concepts qui ne me parlent pas comme celui de traverser la France au milieu des voitures, entre routes et chemins. J’ai du respect pour ceux qui le font mais je ne m’y reconnais pas. Il y aussi de nouveaux Ultra qui apparaissent avec des distances de 200 kilomètres ou plus. Au début, on était sur des distances symboliques, 100 kilomètres ou 160 kilomètres qui correspondent à 100 miles. Mais là, on est en train de glisser, glisser, glisser vers le « toujours plus long », c’est un peu la fuite en avant et je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne chose. Notamment parce qu’il y a beaucoup de gens qui pratiquent ce sport et qui ne sont pas prêts à affronter ce genre de distances. Des distances pourtant de plus en plus mises en avant.

 

Quand on a parcouru autant de kilomètres que sur le Tor des géants, après coup, a-t-on un sentiment d’infini ? Se dit-on que tout est possible, que l’on peut aller n’importe où et évoluer sur n’importe quelle distance ?
Un petit peu quand même, oui… on se dit : « je l’ai fait, je me suis donné les moyens, je suis allé au bout » et ça restera à jamais gravé en moi. Avoir la veste de finisher, c’est une fierté car c’est une course où il y a quasiment 50 % d’abandons, où tu finis « découpé », où tu ne dors quasiment pas ! Mais déjà quand j’avais surmonté les 35 derniers kilomètres du Grand Raid de la Réunion avec une périostite et une douleur à pleurer dès que je posais le pied parterre, j’avais un sentiment de plénitude, d’accomplissement très fort. Après avoir franchi la ligne d’arrivée, je m’étais dit que je n’étais pas trop « moisi » et que je possédais un sacré mental !  Sur l’UTMB, je n’ai pas forcément ressenti cette émotion parce que je n’ai pas eu à piocher, à puiser en moi.

Finisher et médaillé à la Réunion

Finisher et médaillé à la Réunion

 

Certains se demandent pourquoi on s’inflige ça ? Pourquoi on prend part à ces défis. Peux-tu leur expliquer ?
Comme je le disais au début de l’entretien : pour se sentir un peu plus vivant ! Se sortir de notre quotidien aseptisé où l’on a tout sur un simple claquement de doigt ! Cela peut paraître bête mais parmi ceux qui vont lire ces lignes, combien vont courir la nuit ? Ou simplement marcher la nuit en montagne ? Et pourtant, quel bonheur !
Mais attention, parfois, certains confondent et nous disent : « vous aimez vous faire mal !». Non, ce n’est pas vrai ! Même si la douleur est obligatoire après 15, 16 heures de course, lorsque les jambes font mal ou que l’on connait des coups de mou, ce n’est pas cette souffrance que l’on recherche. J’ai l’habitude de dire que ce sont des rendez-vous que l’on se donne avec soi-même. Si cela se passe mal, que l’on ne s’est pas bien préparé, on ne peut s’en prendre à personne d’autre. C’est un peu l’occasion de faire un contrôle technique en quelque sorte ! (rires)

 

Le Trail, c’est dangereux ?
Oui. Oui, c’est dangereux. On n’est jamais à l’abri. Je l’ai vécu sur la Trans Gran Canaria. Quand tu tombes, que ton crâne saigne abondamment et que tu es à plus d’une heure des premiers secours, en pleine nuit dans un lieu peu accessible, tu réalises que c’est chaud. Lorsque j’ai participé au Grand Raid et que j’ai appris qu’un participant avait fait une chute mortelle, oui, forcément, j’ai été obligé d’accepter cette notion. Heureusement, cela ne me hante pas mais quand je me retrouve sur des passages délicats, dans un état de fatigue physique avancée, je sais que ce n’est pas le moment de s’endormir. Cela dit, il y en a qui font aussi des malaises cardiaques en jouant au foot ou en faisant du VTT. Personne n’est à l’abri. Il faut savoir relativiser.

En deux mots : par quels états on passe sur ces courses, à quoi l’on pense ?
Il faut d’abord être extrêmement concentré pour penser à boire toutes les 15 à 20 minutes, pour penser à s’alimenter régulièrement, à regarder ou l’on pose ses pieds. Cela occupe déjà pas mal l’esprit. Et puis, parfois, à force de regarder le mollet du gars qui précède, le cerveau vagabonde. Tu repenses à une discussion que tu as eue avec ton père lorsque tu étais adolescent, à un premier amour…tu penses à tout et n’importe quoi, c’est assez étrange.

 

Ton livre s’appelle « Coureur de l’Extrême » et pourtant à sa lecture, on découvre que tu marches énormément sur tes défis. Tu nous aurais trompés ?
Non, il n’y a pas de secret, je crois que l’on marche un tiers du temps sur un ultra ! Il faut l’accepter ! Cela fait partie de l’intelligence du traileur. Celui qui ne marche pas ne va pas au bout. Ce n’est pas un marathon sur route. Je m’amuse souvent à voir des participants me dépasser en courant lorsque cela grimpe un peu. Je me dis alors que je les retrouverai plus tard et, en général… c’est le cas ! Et ils ne sont pas au mieux ! (rires)

 

Jusqu’à quel âge envisages-tu de prendre part à des Trails ?
Jusqu’à la fin ?
C’est ce que l’on peut te souhaiter ?
Oui (rires).

 

@stephanlem

Pour retrouver la 1ère partie de l’entretien, cliquez ici

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À propos de stephanlem

sport journalist

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