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Hors piste, L' Actu rebondit sur PQDS, Parce que Kilian..., PQDS...des portraits !

« Faire un film, c’est peindre un tableau »


Sébastien Montaz en ballon au dessus de l'espagne - credit www.sebmontaz.com

Sébastien Montaz en ballon au dessus de l’espagne – credit http://www.sebmontaz.com

Compagnon de route et ami de Kilian Jornet, Sébastien Montaz-Rosset est le réalisateur qui « monte » dans le milieu des films de sports outdoor. Normal pour un ancien guide de haute-montagne. Sans les yeux de cet « extra-cinéaste », pas d’image des records établis par l’« ultra-traileur » catalan. Mais le français possède surtout une vision singulière et une réflexion aboutie sur son activité. A l’occasion du Festival « Montagne en scène » et de la projection de son nouveau film « Dejame Vivir », plongée dans l’univers hors-norme de ce conteur d’histoires modernes.

 

Pour ceux qui te découvrent aujourd’hui, pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Sébastien Montaz-Rosset, j’ai 39 ans, j’ai grandi en tarentaise, dans la station de ski Les Arcs. Maintenant, je vis dans le massif du Mont-Blanc depuis une quinzaine d’année. J’ai un parcours un peu atypique pour arriver à faire des films comme ceux qui passent au Zénith de Paris ce soir. A l’origine, je suis guide de haute montagne. Pendant 12 ans, j’ai fait ce métier à plein temps, avec un monitorat de ski, et j’ai toujours filmé mes clients. Et j’en suis là maintenant à faire des films qui semblent plaire à un grand public. C’est super intéressant parce que, quand on a un peu de réflexion au niveau de ce que l’on veut raconter, et, un peu de construction narrative, je pense que tout le monde peut faire des films qui plaisent aux autres. Après, il faut trouver un angle, un sujet, un sportif. Et c’est vrai que Kilian Jornet, ça parle, ça porte plus. Mais je pense vraiment que tout est possible.

Sur ta page Facebook, il est noté «  Seb Montaz ‘ artiste’ » ?
Oui, je fais du dessin, de la peinture. Pour moi faire un film, c’est réaliser une prise de vue, du montage, de la colorisation des images, c’est faire un tableau en fait. La peinture c’est le sujet et le montage c’est prendre les pinceaux pour raconter une histoire. Oui, c’est de la création.

Quel a été le déclencheur, le moment qui t’a définitivement amené à tourner et à photographier ?

sebastien montaz au festival "montagne en scène"

sebastien montaz au festival « montagne en scène »

Il n’y a pas vraiment eu de moments clés. J’ai toujours filmé mes clients pendant les courses en montagne. Je leur faisais des petits montages que je leur offrais, et, de fil en aiguille, des marques m’ont contacté. Et à un moment, il a fallu que je choisisse entre les deux métiers. Cela n’a jamais été un plan de carrière. Je n’ai jamais dit : « je vais faire du cinéma ! ». D’ailleurs, je ne sais pas si j’en fais. J’ai du mal à dire que je suis réalisateur. Je pense que je suis une espèce d’hydride entre un sportif et …je ne sais pas vraiment quoi d’autre…Cela s’est fait comme ça.

Tes films font rêver beaucoup de monde. Par exemple, pourrais-tu expliquer à un adolescent passionné par ton activité comment réaliser ses propres films ? Quel est le chemin à suivre ?
Je me suis formé tout seul. Aujourd’hui, on dispose de tous les outils au niveau digital et sur internet pour comprendre comment se font les films, avec quel matériel et par quel arc narratif. Ça, ce n’est pas un problème aujourd’hui. C’est très bien de faire une école de cinéma, mais, ce n’est pas indispensable. Le matériel devient de plus en plus accessible au niveau financier. On peut faire des images qui sont typées « cinéma » pour pas grand-chose, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. On est dans une bonne période. Maintenant, il faut arrêter de passer des heures sur des forums pour comprendre les compressions ou avoir une RED (caméra numérique). Ce n’est pas la peine ! Il faut shooter tous les jours ! Sortir, shooter, shooter, shooter !!! Aller sur le terrain ! Il faut creuser son univers. On imite tous. Les génies purs à la De Vinci, je pense qu’il y en a très, très peu dans le monde. Et finalement on rebondit tous en imitant des gens que l’on apprécie. Consciemment ou non. Il faut aller shooter dehors et se créer son univers. Quand on demande à un réalisateur de faire un film, ce n’est pas parce que c’est un bon technicien, c’est parce qu’il a un univers intérieur, c’est pour ça qu’il faut travailler cet aspect…

Ton travail est axé sur le milieu des sports extrêmes mais pas seulement. Il t’est arrivé de tourner des clips promotionnels et publicitaires. Y a-t-il un trait d’union quand tu interviens sur ces différents projets ?
Oui, je travaille pour le tourisme, pour une dizaine de stations de skis, j’ai bossé pour la mode ou encore les produits cosmétiques. Le trait d’union est évidemment l’Outdoor. On me demande de filmer des sportifs parce que l’on pense que je sais le faire mais aussi parce que mes coûts sont largement en-dessous des boîtes de production classiques. C’est important de le dire parce qu’il y a beaucoup de place dans le milieu de la publicité entre le très haut de gamme, qui est extraordinaire, et la petite vidéo domestique. Je pense qu’il y a un gap qui reste à combler. Les jeunes qui ont du talent sont de plus en plus nombreux. Ils peuvent s’exprimer via des plateformes internet. Il faut qu’ils sachent qu’il y a des clients avec des budgets intermédiaires qui ont besoin d’eux.

lors du tournage du film " i believe i can fly" - credit www.sebmontaz.com

lors du tournage du film  » i believe i can fly » – credit http://www.sebmontaz.com

Quand tu travailles sur ces films promotionnels, est-ce que tu pars d’une idée précise ou te laisses-tu guider par les thèmes proposés ?
Moi, je n’aime pas travailler avec des scripts. On peut me le demander. Parfois c’est indispensable qu’il y en ait. Mais j’ai la chance de pouvoir faire autrement. La base de mon travail, c’est l’instant. Partout, ce qui plait, c’est la spontanéité et l’authenticité. Alors que ce ne soit pas beau, décadré, tremblant, je m’en fous. Quand Kilian Jornet monte au Cervin et que je demande sur internet des vidéos de smartphones, prises par les gens présents, je me fous qu’elles soient propres ou pas : ce que l’on veut, c’est voir Kilian qui tombe ! Et quand on le voit tomber, ça nous fait bien marrer !

Justement, dans tes films, l’humour est très présent. Quel est le rôle de ce ressort ?
J’aime bien casser les mythes en fait. J’adore les anti-héros. Les personnages que je filme, ce n’est pas parce qu’ils sont champions du monde que je les filme. C’est parce qu’ils ont cette ambivalence, cette complexité. Un Mathéo (Jacquemoud, champion du monde de ski alpinisme, présent avec sa Mamie dans le film « Dejame Vivir ») qui nous fait marrer, on se fout qu’il soit champion du monde. Sa grand-mère aussi et c’est pour ça qu’on l’a fait venir ce soir sur la scène du Zénith.

Pour le grand public, Kilian Jornet est un immense champion, une icône pour de nombreux pratiquants de Trail. Il est aussi ton ami. Est-ce que toi tu peux nous parler de l’homme que tu côtoies et nous livrer un autre regard ?
Non, il est 100% tel que vous le voyez à la télé. Il ne se travestit pas, il est comme il est sur les images. Je n’ai jamais vu Kilian en colère, anxieux, envieux, jaloux…Je veux dire, il en est même chiant à être presque parfait, tu vois ? (rires) Et il est comme ça. Le Kilian simple ? C’est le même.

 

Déjame Vivir Official Trailer – Summits of My Life from Summits of My Life on Vimeo.

Quel est le sujet de « Dejame Vivir » ? Une quête de records ? Qu’as-tu voulu raconter ?
J’espère que ce n’est pas qu’une quête d’exploits. Quand je vais filmer là-bas, je me dis : « pourvu que cela ne marche pas, qu’il se passe aussi autre chose ». Le problème avec Kilian, c’est que, bien souvent, ça marche très vite et très fort ! Mais les gens qui font des films aiment quand cela ne se passe pas bien en fait (rires). Ce que l’on veut montrer, c’est l’humanité qu’il y a derrière le champion. Moi quand j’appuie sur le bouton d’enregistrement, je ne pense pas à qui je suis ou à mon sujet. Je pense à tous les gens qui sont dans la salle pour voir le film ce soir : comment ils vont l’interpréter ? Comment ils vont le recevoir ? S’ils ne comprennent pas ou si c’est lunaire, cela ne m’intéresse pas. S’il n’y a pas une dimension palpable, ce n’est pas la peine.

 
En voyant certaines scènes de « Dejame Vivir » on a le sentiment qu’il y a beaucoup de tendresse, d’amour qui émanent de tes images vis-à-vis des protagonistes du film, Kilian, Emelie Forsberg, Mathéo Jacquemoud, ou encore Bruno Brunod. On se trompe ?    
Le spectateur a surtout tendance à se cristalliser sur les images. Il aimerait que le regard que Kilian porte à l’objectif soit porté avec ses propres yeux. J’espère du moins… et c’est le but recherché. Cette empathie-là, je l’ai recherchée, oui. On en a tous envie. Il y a trois jours, je me suis surpris à mettre une GoPro en marche pendant que l’on mangeait des pattes ensemble. Kilian m’a demandé : «  tu filmes ? ». Je lui ai dit : « ouais ». En fait, cette scène était cool : on voit les bras des gars qui se servent, Kilian qui discute et qui a oublié la caméra… je ne vais pas le publier, je vais peut-être le garder pour moi, -quoi qu’à l’avenir on ne sait pas -, mais il faut casser les codes. Les joueurs de foot qui sortent du bus avec les casques sur oreilles, moi, ça ne m’intéresse pas… Le foot m’intéresserait si les joueurs pouvaient être aussi simples que Kilian.

 

sebastien montaz & kilian jornet - credit www.sebmontaz.com

sebastien montaz & kilian jornet – credit http://www.sebmontaz.com

Dans les documentaires consacrés aux sportifs de l’extrême, le spectateur voit souvent l’exploit filmé mais ne pense pas à celui qui filme. Pourtant il faut avoir une grosse condition physique pour faire ce job ?
Oui, avec Kilian, il le faut et je me dois d’être au maximum, c’est le moins que je lui doive.

 
As-tu une préparation particulière ?
Oui, pour moi, c’est au moins aussi important de faire du montage que d’aller courir. Malheureusement, j’ai tendance à me faire submerger par les obligations professionnelles parce que j’ai toujours l’impression que les journées font quarante-huit heures. Mais si je ne cours pas, c’est fini, il n’y a pas d’issue.

 
Parles-nous de l’envers du décor. Au-delà de ces belles images, quelles sont les contraintes techniques et physiques de ce type de film ?
Techniquement, c’est déjà de ne pas être l’esclave de son matériel. Il faut le choisir non pas en fonction des images que l’on va faire mais du contexte, du froid, de l’engagement. Il ne faut pas oublier que le sujet est plus important que le matériel. On se fout que ce soit de belles images pourvu que l’on soit là au bon moment… Et pour réussir ça, par exemple au Mont McKinley, on utilise une GoPro et un téléphone portable. On n’est pas dans les rues d’une grande ville. On ne va pas dire « action ! » quatre fois au mec. Le mec, il est là pour courir et skier, c’est son métier. Il faut qu’il courre et qu’il skie. Et toi, tu t’accroches derrière et tu filmes.

Kilian Jornet Denali speed record from sebastien montaz-rosset on Vimeo.

 
Il y a quelques jours tu étais dans la poudreuse avec Kilian Jornet, ton blog te montre aussi en train de survoler l’Espagne en ballon une caméra à la main, tu publies énormément de vidéos et d’images sur les réseaux sociaux. Pourquoi est-ce important de communiquer autant via internet ?
C’est une nécessité. Quand on regarde un gars comme Kilian qui poste par plaisir et qui a 300 000 fans, non seulement c’est le plus gros performer dans son sport mais en plus c’est un super bon communiquant et il a un impact marketing qui est énorme. Mais, il faut que cela soit par plaisir. Il ne s’agit pas de faire de la photo pour faire de la photo. Si vous avez des choses à montrer parce que votre passion vous amène là-haut ou là-bas, en-dessous, autant les montrer ! Mais c’est vrai que notre cerveau ne va pas grossir et qu’il y a de plus en plus d’images, alors, soyez imaginatif !

 
Mais rassures-nous, tu n’es pas en train de nous filmer là ?
Non !!! (rires)

 

 

Propos recueillis par Stéphan Lemonsu / @stephanlem

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sport journalist

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